Agnens, le village disparu

Explications données par M. Michel Vauthey de Payerne, enseignant retraité et passionné d'histoire, lors de la conférence qui a eu lieu au Château de St-Aubin le 2 mai 2013.

Plusieurs personnes se souviennent avoir entendu parler d'un village disparu: Agnens... Je dirai sss pour faciliter l'exercice et pour respecter la logique, ce village étant toujours resté catholique. Une notice parue en 1932 sous la plume de l'historien Brülhart, membre des Sociétés d'histoire de la Suisse romande et du canton de Fribourg, servira de trame à mes recherches. Les renseignements de ce chercheur boryard ont grandement facilité mon travail.

Sortons dans la campagne environnante et tentons de retrouver l'emplacement du site... Le dictionnaire historique et géographique édité à Neuchâtel il y a plus d'un siècle dit: " Asnens ou Agnens village et seigneurie situés entre St-Aubin et Delley. En 1239 Pierre d'Asnens prête hommage au chapitre de Lausanne...". Ce document comporte 2 erreurs fondamentales... Agnens ne fut jamais une seigneurie, c'était un petit hameau formant un fief dans la seigneurie de Grandcour. Il n'était pas situé entre St-Aubin et Delley, mais bien à un kilomètre et demi au-dessus de Missy, entre St-Aubin et Vallon.

Une étude toponymique de la commune de Missy, effectuée par une élève du Gymnase d'Yverdon récemment, consolide cette argumentation. Sarah Rosselet de Corcelles écrit: " Au bas D'Agnens, cité en 1778 et 1844... Ce toponymie désigne un terrain qui se trouvait à la frontière d'Agnens. Ce village existait au Moyen Age, situé entre St-Aubin et Missy. Il disparut au XIVème ou XVème siècle vraisemblablement suite aux épidémies de peste...

2. Plusieurs documents des archives de nos villages et de Payerne nous permettront, je l'espère d'y voir un peu plus clair et de rétablir certaines vérités historiques. La célèbre croix déplacée lors des remaniements porte des dates : 1567 - 1975...

Mais il est d'abord indispensable de se pencher sur notre région broyarde... et son histoire riche et passionnante...

Nous commencerons par le voisin, GRANDCOUR. Son château du XVIIIème siècle a remplacé un manoir plus ancien. La Société des Tireurs est la première société militaire de Suisse. Elle date de 1384 et a été autorisée, en récompense, d'un fait d'armes, une aide efficace des habitants du village au Baron de Grandson.

Le village, bourg ou ville fermée, était le chef-lieu d'une seigneurie comprenant Chevroux, Chesard et Ressudens. En 1212 on le nomme Grancort et les premiers seigneurs sont ceux de la Maison de Cossonay-Prangins. A la chute de cette Maison, le bourg revient à Louis de Savoie, Seigneur de Vaud. En 1311, ces terres sont données avec les seigneuries du Vully dont Agnens à Pierre de Grandson jusqu'en 1397. Chassé-croisé: retour à la Savoie avant d'appartenir à François Ier Comte de Gruyère en échange d'une somme prêtée au Duc de Savoie. Dès 1473 après les déboires et faillites du Comte de Gruyère plusieurs familles se succèdent à Grandcour dont les De Diessbach pour plus de 200 ans. Leurs tombes se retrouvent en Carignan.

En 1755 c'est Jean-Louis Labat de Genève, puis son fils qui sera le dernier Baron de Grandcour... 1798 Révolution vaudoise... 1803...

3. Nous voici maintenant dans nos murs : ST-AUBIN... Son origine est des plus anciennes. Il est probable que les Romains y avaient établi quelques domaines sur la colline bien située et proche d'Aventicum la capitale. Rappelons-nous la villa de campagne découverte à Vallon ( 170 à 220 )... L'existence du village est attestée par un acte du 28 octobre 1055, et il est fait une première mention de la paroisse en 1182. Le Pape Lucien III confirme la donation de l'église au prieuré Saint-Maire de Lausanne. Tout comme à Grandcour, la Savoie et Grandson se succèdent sur ces terres jusqu'au fameux Othon de Grandson...

On l'accuse d'avoir cherché à empoisonner le Comte de Savoie Amédée VII le Rouge... Celui-ci est mort subitement en 1397... du tétanos mal soigné sans doute... mais on préfère pivilégier la piste du complot... Le félon Othon de Grandson est condamné, et toutes ses terres sont confisquées et données à la Savoie. En 1443 Humbert de Savoie lègue à son écuyer Antoine Anglici ou Engle les seigneuries de Montagny, de Cudrefin, de Grandcour et de St-Aubin. En 1444 le Duc de Savoie y ajoute les villages de Villars-le-Grand, les Friques et Agnens. Ainsi se constitue une petite région dépendant d'un propiétaire unique. Mais cela ne dure pas. Antoine Anglici meurt sans laisser d'enfants et il institue pour héritier un neveu de sa femme Philippe d'Oncieux qui construira l'ancien château seigneurial.

1536. C'est la campagne des Bernois bientôt suivis par des Fribourgeois qui envahissent le Pays de Vaud et notre région. La seigneurie de St-Aubin est placée alors sous l'Avoyerie d'Estavayer. Ce bailliage est réuni de 1798 à 1802 au district d'Avenches de l'éphémère canton de Sarine et Broye. Le village sera rattaché, d'abord au district de Montagny, avant de rejoindre le district de la Broye...

4. Cette période mérite une petite pause.

La République Helvétique Une et Indivisible est imposée par Brune et la France. Elle ne tiendra que 5 ans, car contraire à l'esprit indépendant des Suisses et l'autonomie des régions...

Payerne sera la capitale de l'éphémère Canton de Sarine et Broye pour 6 semaines seulement.

15 février 1798 ... On décide de créer 2 cantons :

  • Fribourg et les anciennes terres dont Morat plus les 3 bailliages de Planfayon, Bellegrade et Illens.
  • Sarine et Broye avec 13 bailliages fribourgeois dont Estavayer, Surpierre et Montagny, le bailliage vaudois d'Avenches et le Gouvernement libre de Payerne.
    31mars... On retrouve un canton de Fribourg avec Payerne et Avenches.

5. Traversons la plaine, franchissons la Broye, et arrêtons-nous quelques instants à MONTAGNY-LES-MONTS. Ce bourg est très ancien lui aussi. En 1173 vivaient les Sires Conrad et Rodolphe qui comptent parmi les bienfaiteurs de Hauterive.

Il vaut la peine de se pencher quelques instants sur ce magnifique monastère. Les Seigneurs de la Glâne occupaient un château escarpé au confluent de la Sarine et de la Grande Glâne. Ulrich le père et ses deux fils Guillaume et Pierre sont assassinés en 1127 dans notre noble Abbatiale. Pris de panique, Guillaume, fils de Pierre, fait raser son château et offre les pierres pour fonder le couvent de Hauterive en 1137. Il meurt en 1142 avant la fin de la construcion, mais son tombeau se trouve encore à Hauterive.

Les vieilles ruines escarpées et enfouies sous les ronces du château peuvent encore se voir si vous vous baladez dans ce secteur...

Revenons à Guillaume de Montagny. En 1267 il prête hommage au Duc de Savoie et plusieurs membres de cette noble famille sont prieurs au couvent de l'Abbatiale. Ceci explique la présence des troupes savoyardes dans les murs de Payerne lors du siège de la ville en 1283 par Rodolphe de Habsbourg. Nous résisterons 6 mois jusqu'à la veille de Noël, mais ceci est une autre histoire...

Aymon de Montagny épouse Agnès de Grandson et se rapproche ainsi du Vully... En 1395, les Bernois assiègent et ravagent la seigneurie au grand plaisir des Payernois qui n'apprécient guère les moines du couvent... En 1447 ce sont les Fribourgeois qui s'emparent du château et le brûlent. Mais l'année suivante, le traité de Morat met fin au conflit et les vainqueurs obligent les vaincus à le reconstruire. En 1478, le Duc Philibert de Savoie cède le bailliage à Fribourg pour 6400 florins...

6. Nous avons longuement flâné à travers les siècles... oublié la brave Reine Berthe de 937, son testament " très solennel de la pieuse reine fabriqué par les moines un 1er avril !!! " la construction de l'Abbatiale, alors bien solide en 963... mais me direz-vous... Agnens.

C'est le moment d'en parler... Un document en France fait apparaître un certain François d'Agnens qui aurait participé à la Croisade du Roi Saint Louis (Louis IX mort en 1270 devant Tunis).

Il aurait fait son testament devant Damiette en 1249. Cette ville de la côte égyptienne avait été prise puis rendue aux infidèles. La mention de ce François (nom jamais usité à cette époque) provient de la collection Courtois qui est considérée aujourd'hui comme une mystification complète. Elle avait été imaginée pour flatter la vanité de certaines familles qui voulaient voir leur blason figurer au Musée de Versailles. Le Comte de Delley-Blancmesnil se trouvait parmi ces familles encore modestes et rêvait d'avoir un ancêtre parmi les croisés. Les armoiries de François d'Agnens sont celles des Delley de France actuels. Elles montrent dans un fond d'azur un lion d'or à 2 bandes d'or brochantes...

Plus sérieusement, la première mention du village, très ancienne, se trouve aux Archives de Payerne.

En 1085, un nommé Villencus, fils de Riferius donne à l'Abbaye de Payerne une maison, une vigne, et 4 poses de terres situées à Asnens en Vully.

Agnens signifie: " chez les descendants d'Asino, et serait d'origine germanique ".

7. Plus tard, le nom d'Agnens apparaît à nouveau dans le Cartulaire de Lausanne écrit en 1240 par Conrad d'Estavayer. D'après ce recueil d'actes attestant des titres et des privilèges, parmi les témoins d'un échange conclu entre le couvent d'Hauterive et Rodolphe et Neuchâtel en 1165, figurait un noble, le chevalier d'Agnens, communauté ou commune avec des communiers ou des bourgeois.

Ce recueil de reconnaissances féodales nous permet de retrouver aussi exactement que possible les terres et lieux de ce territoire. Il avait une superficie d'environ 450 poses. Si nous calculons en poses fibourgeoises de 36 ares (et non pas vaudoises de 45 ares) nous obtenons 160 hectares, soit 500 terrains de foot. On retrouve ces mêmes données dans les actes du procès suscité par les revendications des gens de Missy au sujet des pâturages.

En 1239, le Chevalier Pierre d'Agnens reçoit en fief de l'évêque et du chapitre de Lausanne un certain nombre de propriétés et de revenus situés sur les territoires de Ressudens et de St-Aubin, avec des dîmes à Payerne, Grandcour et Gletterens. Cet acte d'inféodation du 21 août est signé des témoins, le donzel Aymon d'Agnens et le Chevalier Gui de Bussy. A cette époque, un autre membre de cette famille respectable nommé Guillaume est prêtre au chapitre de Lausanne... On y parle aussi de la forêt du Haut Mont, endroit appelé encore aujourd'hui Le Mont...

Vers 1250, Pierre de Savoie, le Petit Charlemagne, fait la conquête du Pays de Vaud et occupe le château de Chillon. Agnens fait alors partie du bailliage de Grandcour avec St-Aubin, Ressudens, Chevroux et les hameaux de Chesard et Villars les Friques ou Villars-le-Petit. Portalban Dessus appatient alors à la seigneurie de Delley, et Gletterens directement à l'abbaye de Payerne.

8. En 1264, plusieurs chevaliers de la Broye parmi lesquels Guillaume d'Agnens accompagent Pierre de Savoie dans une expédition en Flandre. Ils recevront chacun 7 livres viennoises.

En 1287, le prieuré de Lutry possédait à Agnens un domaine de 93 poses, soit 3 hectares et demi.

A cette même époque, la seigneurie de Grandcour appartenait à la famille noble des Cossonay-Prangins. Mais, à la suite d'une guerre que les petits seigneurs du Pays de Vaud firent contre le Baron de Vaud, le Duc Louis de Savoie, les biens des seigneuries de Cossonay furent confisqués et réunis au domaine du Comte de Savoie. Il y avait donc avantage de savoir choisir son camp!

En 1303, Pierre de Grandson épouse Blanche de Savoie, soeur de Louis II, Baron de Vaud et reçoit donc en dot, de sa femme, les seigneuries ou châtelleries de Grandson, Cudrefin et Bellerive. C'est ainsi que nos contrées passèrent à la Maison de Grandson... Beau mariage d'amour...

On retrouve Agnens mentionné en 1320 dans le testament de Renaud, coseigneur d'Estavayer. Parmi les biens que ce seigneur laisse à son fils aîné Guillaume, on trouve des droits sur le Vully et l'hommage que lui devait le chevalier Hermann d'Agnens, seigneur de Delley et de Portalban. Deux ans plus tard, au mois d'août 1322, Henri, fils du donzel Aymon d'Agnens, donna au couvent des Dominicains d'Estavayer tout ce qu'il possédait dans le devin d'Agnens, près des terres de son frère Renaud et de celles du couvent de Payerne.

9. En 1335, selon un acte de reconnaissance des archives de St-Aubin, Pierre de Grandson donne un accensement perpétuel... C'est une extension des droits de propriété... aux habitants d'Agnens, toute la messellerie, c'est-à-dire les terres cultivables, les paquiers et les pâturages contre la cense annuelle de trois muids de froment, mesure de Cudrefin, et deux livres de cire et dix sols lausannois. Vous remarquez la difficulté de commercer entre régions et de comprendre les mesures de nos ancêtres... Le muids de Cudrefin est un fût de 1200 litres, mais cette capacité est variable selon les régions, comme les poses déjà rencontées...

En 1397, la famille noble des chevaliers d'Agnens n'existe plus. La seigneurie de Grandcour avec les villages de St-Aubin et d'Agnens passe à nouveau, après la confiscation des biens d'Othon de Grandson (rappelez-vous la mort du Duc de Savoie Amédée VII le Rouge et son tétanos...) au domaine direct de Savoie. Mais peu d'années après, en 1406, Grandcour et sa région ont un nouveau seigneur en la personne D'Humbert, bâtard de Savoie. Ce vaillant chevalier a combattu en Orient lors des dernières Croisades, et il est resté sept ans prisonnier des Turcs après la bataille de Nicopolis.

A son retour, le comte de Savoie Amédée VIII, son demi-frère, lui donne comme apanage les seigneuries de Corbières, Montagny, la Molière, Cudrefin, Bellerive et Grandcour. Ces châtelleries ont ainsi, pendant 37 ans un prince de Savoie comme seigneur direct.

1386, c'est la bataille de Sempach, 1388 Naefels, 1405 le Stoss, les batailles héroïques de la Confédération des 8 cantons pour assurer leur indépendance face à l'Autriche... Mais c'est bien loin de nos régions broyardes...

10. A cette époque, on note une assez forte diminution de la population d'Agnens. En effet, lorsque en 1432 les communiers d'Agnens reconnaissent tenir d'Humbert de Savoie, leur seigneur et maître, les paquiers et la messellerie de leur village, la cense, contribution, en froment est mise à 2 muids au lieu de 3 à cause de la diminution des focages. La réduction avait été demandée, disent les actes des archives de Missy, avec " larmes et pleurs ".

Humbert de Savoie, devenu comte de Romont est l'un des plus puissants seigneurs du Pays de Vaud. Il meurt au château d'Estavayer le 13 octobre 1443, laissant toutes ses seigneuries à son neveu Louis de Savoie. Il lui avait cependant demandé de donner à son autre neveu Antoine Angleis la seigneurie de Dompierre, le hameau de St-Maurice de Villars en Vully (les Friques)... Mais un acte des archives de St-Aubin apporte certaines contradictions. Il nous apprend que le duc Louis de Savoie, considérant que la seigneurie de Montagny à laquelle le village de Dompierre appartenait, était à la frontière de ses états, et de ce fait, ne pouvait pas être démembrée sans autre, et que le bourg de Molière lui était indispensable pour la garde du Pays de Vaud. Il lui suggère donc une autre proposition que l'on retrouve dans un acte signé et daté de Genève le 15 décembre 1443. Il donnera en compensation le fief de St-Aubin en Vully soit le village avec son territoire, ses fiefs, hommages nobles, hommages ruraux, franchises, censes, censitaires, hommes taillables et corvéables, servitudes, bans, condamnations, dîmes, pâturages, pêche, chasse, eaux, moulins, scies, autres droits et complète juridiction ... tout un programme. L'acte déclare encore que St-Aubin est détaché du mandement de Grandcour et formera une seigneurie indépendante de cette châtellerie.

11. L'année suivante, en 1444, le 15 juin, le duc de Savoie ajoute à cette seigneurie de St-Aubin le village ou hameau d'Agnens et le fief de Villars le Petit, soit les Friques. Il détachait ainsi ces 2 territoires à la seigneurie de Grandcour. Cette même année, Jacques Abbest d'Agnens, alias Mellet, et Pierre Mestre de Vallon ont des difficultés avec la commune de Gletterens au sujet d'un pâturage... Jean Cantin, curé de Dompierre en Vully est choisi comme arbitre.

En 1447, les habitants de St-Aubin, d'Agnens et des Friques doivent prendre les armes contre Fribourg en guerre contre la Savoie. Nous avons vu que le château de Montagny sera détruit et que les Broyards ont choisi le mauvais camp, en se mettant du ressort militaire d'Estavayer... Dans un livre de reconnaissance en faveur d'Antoine Angleis en 1448 on retrouve des familles d'Agnens: les familles Guenard (Guinnard), Monney, Abbest alias Melley déjà rencontré précédemment et Chevard.

En 1458, Claude Melley veut interdire aux gens de St-Aubin de pâturer sur certaines chevrières et champs d'Agnens sur lesquelles la commune de St-Aubin prétendait avoir des droits plus anciens. A nouveau un arbitrage est choisi et on y trouve le noble Antoine Angleis, seigneur de St-Aubin et Pierre Angleis châtelain du même lieu, Richard Delacour de Missy et Robert Dumoulin de Villars en Vully. La sentence prononcée le 10 juin attribue aux communiers de St-Aubin le droit d'utiliser les pâturages d'Agnens à un moment déterminé, mais à l'exception de certains prés, un jugement digne de celui du roi Salomon...

12. En 1498, à la mort d'Antoine Angleis, Philippe d'Oncieux d'une famille noble de Franche-Comté, parent du défunt, hérite de la seigneurie. Les sujets des 3 villages prêtent solennellement serment de fidélité à leur nouveau seigneur le 10 novembre.

Jusqu'à la conquête du Pays de Vaud en 1536, on vit une période calme et on ne parle plus guère d'Agnens, si ce n'est en 1520 où il est à nouveau question de pâturages convoités. Cette fois, ce sont les habitants de Vallon qui prétendent avoir des droits sur les champs d'Agnens. Mais leurs vaches ayant été saisies et gagées, ils intentent une action juridique contre les communes de St-Aubin et Agnens. Eternel recommencement... Trois arbitres sont choisis parmi les conseillers de Fribourg, Antoine Filling, Jean Mettraux-Amman et Heinz Féguely. Ils terminent rapidement leurs délibérations et écartent les prétentions de Vallon.

L'année 1536 marque pour le Pays de Vaud et toute notre région la fin de la domination savoyarde. Berne, puis Fribourg font la conquête de toutes les seigneuries qui occupaient le pays depuis près de 300 ans. On les chasse au-delà du Léman. Mais 1536 marque aussi le début du morcellement et des frontières si compliquées et tordues de notre région... la seigneurie de St-Aubin avec les Friques et Agnens tombe sous la juridiction de Fribourg, tandis que les seigneuries de Cudrefin et de Grandcour, ainsi que tous les petits villages se soumettent à la puissance de Berne. Missy et Trey ont d'abord fait leur soumission à LL.EE. de Fribourg, mais ils doivent se soumettre et appartiennent dès lors au bailliage de Payerne, donc à Berne.

13. Le 24 février 1536, Godefroy Grisel de Forel, châtelain de St-Aubin, prête serment de fidélité à l'Etat de Fribourg au nom des Oncieux, seigneur de St-Aubin. Les habitants d'Agnens font alors partie du ressort militaire et de la justice d'Estavayer comme tribunal d'appel.

On arrive tranquillement à la disparition d'Agnens. Dans le rôle des impositions payées par les sujets de Fribourg pour l'acquisition du comté de Gruyère, on trouve la mention de tous les contribuables imposables de la seigneurie de St-Aubin... Les habitants d'Agnens déjà appauvris ne figurent pas dans la liste des dits contribuables...

Les paysans des villages voisins Missy, St-Aubin et Vallon ont déjà peu à peu fait l'acquisition des domaines et pièces de terre. Les familles Disy et Monney ont disparu, celle de Guenard ou Guinard s'est établie depuis longtemps à Gletterens. La famille Abbest alias Mellet reste seule pour former la bourgeoisie d'Agnens. A cause de son nom Abbest, on a prétendu que le dernier communier d'Agnens était surnommé " l'abbé " parce qu'un couvent aurait existé en ces lieux. C'est une pure légende ou fantaisie, car la famille Abbest était déjà connue à Vallon et à Agnens au XIVème siècle et ce nom n'indique nullement la présence d'une maison religieuse dans la contrée...

14. Le 19 mai 1567, Claude Abbest dit Melley d'Agnens vend à la commune de St-Aubin dont Claude Verdon est gouverneur " tous les pâturages, pâquiers du lieu dit d'Agnens, entre les confins de Delley et ceux de Missy, et entre les confins de Vallon devers vent et les confins de St-Aubin dervers bise... Je, le dit Claude Abbest, autrement Mellet, tiens les dits pâturages par vertu d'anciens accessements de mes prédecesseures, faits par Pierre de Grandson par lettres scellées et datées du mercredi après la Saint Pierre et Paul en l'an de grâce 1335... "

La vente est faite pour le prix de 100 florins et une aulne de bon drap valant 6 florins. Le vendeur se réserve un char de foin et un char de regain... L'acte écrit par le notaire Quillet se trouvait aux archives de St-Aubin lorsque Monsieur Brülhart l'a consulté en 1932...

Dans d'autres documents, on rappelle cette vente et ces terres qui désignent bien Claude Melley comme étant le dernier communier et propriétaire en ce lieu... Celui-ci, âgé de 100 ans, âge plus que respectable pour l'époque, donne à LLEE de Berne la messellerie du village.

Et on recourt à nouveau à des procès... très courant à cette époque. Ils durent de nombreuses années, et il est de plus en plus difficile de connaître les droits des uns ou des autres, et les juridictions aptes à définir les responsabilités, Berne ou Fribourg selon les avantages ou les besoins de lenteur...

Davel en fera le reproche aux Vaudois lors de son supplice à Vidy en 1723 car il a compris l'inutilité de ces actions. Je vais tenter de vous convaincre de la vanité de tous ces procès...

15. 1568... Les gens de Missy prétendent avoir des droits de pâturage sur tout le territoire d'Agnens et affirment qu'ils ont toujours bénéficié de ce droit. La commune de St-Aubin répond qu'elle a acheté les paquerages d'Agnens, libres de tout droit et que c'est elle qui paie maintenant la messellerie dont les revenus ont servi de dotation à la chapelle de Saint Georges à Ressudens. Il en était de même de la cense payée depuis toujours par les paysans d'Agnens et de St-Aubin. Après la mort de l'ancien chapelain de Ressudens, Georges Maringot qui, en 1553, malgré l'arrivée de la Réforme, était encore " usufructuaire " de la chapelle de Saint Georges, les censes étaient payées au Receveur de Payerne, percepteur des droits féodaux au profit de Berne...

Au cours du procès, il y eut des comparutions devant la justice d'Estavayer, mais l'affaire ne fut pas terminée. Le 25 novembre 1574, à la demande de Berne, le Conseil de Fribourg invite les communiers de St-Aubin à " suspendre " les hostilités contre ceux de Missy jusqu'à ce que les commissaires de Berne et Fribourg eussent liquidé le différend...

Il vaut " mieux laisser comme avant, ceux de Missy, pâturer aux endroits accoutumés ". Les députés des deux villes souveraines Berne et Fribourg n'accordèrent finalement à Missy que le droit de pâturer sur certaines terres. Mais les gens de Missy ne s'avouèrent pas battus. Par représailles, ils mirent des clôtures partout. Mais une plainte déposée à Fribourg, et une sentence du 18 novembre 1572, les obligent à tout remettre en état...

16.1579. Le conflit redémarre. Mais où se rencontrer pour discuter à nouveau... A Payerne ou à Estavayer?

On se retrouve finalement à Morat et chacun apporte ses titres afin de résoudre le conflit. La sentence rendue à Morat confirme que la commune de Missy a un droit de pâturage sur une partie du territoire d'Agnens. Un moment du procès dit que c'est par esprit de bon voisinage que la commune de St-Aubin avait toléré que les propriétaires de Missy missent leur bétail sur les terres d'Agnens. Bel emploi du subjonctif imparfait...

Berne veut profiter de ce conflit pour s'emparer de la juridiction et de la messellerie d'Agnens sous prétexte que la redevance due par ce hameau se payaient autrefois au chapelain de Ressudens, mais les délégués de Berne doivent reconnaître l'erreur de leurs prétentions. Et nos frontières resterons découpées...

Dès lors il en est fini de la présence d'Agnens et plus aucun écrit ne parlera de ce village disparu de la région, mais encore présent dans la mémoire de beaucoup d'entre nous...

En conclusion, je vous cite encore la dernière phrase du Professeur Brülhart, tirée de sa préface de 1932: " Je souhaite que ces modestes mots contribuent, en faisant connaître l'image de la contrée, de ses traditions, de ses vieux usages, à faire aimer davantage aux jeunes citoyens leur lieu natal, leur patrie. "

M.VY 2013

RENSEIGNEMENTS

Carignan

  • Eglise St-Pierre
  • Tombes des De Diesbach de Grandcour
  • Dompierre-le-Grand

Dompierre 

  • 966 Testament de la Reine Berthe
  • Domnus Petrus 1180

Domdidier     

  • Eglise de la haute Antiquité – Présence romaine

Ressudens 

  • 927 Evêque de Lausanne est prisonnier
  • Rasoldingis ossements provenant de combats contre les Hongrois

Estavayer     

  • 1135 Le Seigneur d’Estavayer Raynald  I est l’un des Grand Seigneurs des Etats de Vaud     
  • Le chanoine Conon de la cathédrale de Lausanne est la Célèbre cartulaire de la région
  • 1316 Les Dominicaines de Lausanne fondent le couvent

Missy  

  • Prieuré de Payerne administré par un mestral
  • 1148 Missiacum

Portalban      

  • Droite du ruisseau de la Contentenette  =  St-Aubin    
  • Gauche du ruisseau  =  Carignan
  • 1506 Humbert de la Molière, seigneur de Font vend le fief à Fribourg.

DATES-PHARES

  • 69 : La gloire d’Aventicum
  • 200 : Mosaïque de Vallon  170 Bacchus 220 Chasse
  • 265 : Premières invasions barbares
  • 587 : Paternus s’installe sur la colline
  • 937 : La Reine Berthe parcourt nos campagnes
  • 962 : Construction de l’Abbatiale
  • 1085 : Première mention du nom d’Agnens        
  • 1127 : Assassinat des Sires de Glâne à l’Abbatiale
  • 1239 : Chevalier Pierre d’Agnens
  • 1240 : Cartulaire de Lausanne
  • 1250 : La Savoie occupe Chillon et le Pays de Vaud
  • 1270 : Mort de Louis IX de France – St-Louis devant Tunis
  • 1283 : Rodolphe de Habsbourg assiège Payerne
  • 1311 :  Grandeur de la Maison de Grandson
  • 1384 : Fondation de la Société de Tir de Grandcour
  • 1397 : Condamnation de Othon de Grandson
  • 1432 : Début de la décadence et baisse de la population d’Agnens
  • 1443 : St-Aubin est séparé de Grandcour
  • 1447 : Guerre avec la Savoie contre Fribourg
  • 1473 : Faillite du Comte de Gruyère
  • 1498 : Les Oncieux remplacent les Angleis
  • 1536 : Conquêtes bernoise et fribourgeoise
  • 1567 : Vente des dernières terres du village